J’ai déjà parlé ici il y a quelques années du travail de Marie Mirgaine, que j’aime tout particulièrement, à propos alors de l’album Fémur Immo paru également aux éditions Les Fourmis rouges. Depuis plus de cinq ans et après des études aux Arts Déco de Strasbourg, elle a vu paraître plusieurs de ses albums, dont le premier, Kiki en promenade, a obtenu une mention à la Foire du livre jeunesse de Bologne. Elle travaille en parallèle pour le spectacle vivant avec la création de décors saisissants.
Dans Bonjour Bébé, l’on suit un être minuscule coiffé d’une fleur, venant chercher un à un chaque animal ou végétal du coin. Toutes et tous se réveillent ou arrêtent leurs activités, se préparent consciencieusement et le suivent dans une file bigarrée qui grandit pour arriver jusqu’à la dernière double page dont les volets se déploient autour d’un bébé qui vient de naître et que toute la nature environnante vient saluer et célébrer.
Le livre de naissance, autour de l’arrivée d’un enfant, est un format classique de la littérature jeunesse, souvent offert quand les familles s’agrandissent, que ce soit symboliquement pour le bébé et ses parents ou en guise d’histoire sur le sujet pour le reste de l’adelphie. Si l’on tombe facilement sur le sujet dans trop de mignonnerie, Marie Mirgaine s’en empare avec son regard d’autrice-illustratrice emprunt de délicatesse comme d’étrangeté, ce qui permet un décalage bienvenu avec les attendus du genre, embrassé pourtant pleinement dès le titre qui ne laisse planer aucun suspens sur ce que les différents animaux ou végétaux attendent tous de voir enfin, le bébé tout juste né.

Alors que le nouveau-né vient au monde, celui-ci, par l’intermédiaire de celles et ceux qui le composent, l’accueille et lui donne symboliquement sa place en son sein. L’homme-fleur, par le lien qu’il crée entre tous ces êtres vivants, personnifie cette relation à la nature. Sorte de Monsieur Loyal à l’allure de pantin dégingandé aux gestes que l’on imagine saccadés, le voilà qui prévient tout un chacun, dans ce bel agencement du vivant, et annonce l’arrivée de l’enfant. Dans ce monde minuscule et détaillé de la nature telle que le donne à voir l’autrice, le bébé pourtant fragile semble bien grand, dans ce nid d’herbes qui l’accueille, et bouscule avec joie et tendresse cet écosystème. Si l’on dit qu’il faut un village pour élever un enfant, ici, il faut un monde pour l’accueillir.
Le texte simple et clair se lit avec plaisir comme une ritournelle, boucle narrative presque musicale autour de la préparation et des activités de chacun.e entrant dans la file comme une réjouissante chorégraphie tout au long de cette promenade dans le petit monde de la campagne. En cela, Marie Mirgaine trouve un rythme et des sonorités des plus plaisantes pour de jeunes enfants qui se plairont à suivre tant de détails amusants entre texte et illustrations, du mille-pattes cirant toutes ses chaussures à l’escargot tentant de se dépêcher. Le lecteur.ice se trouve pris.e dans la file et la foule, partie de ce monde regardant et fêtant le nouveau-né.

La nature représentée ici, aussi détaillée que fantaisiste, est celle des petites bêtes, des insectes, des fleurs des champs, de celles et ceux que les enfants repèrent souvent plus que les adultes mais qui font, ensemble, ce qu’est cet environnement. L’on suit une araignée fatiguée, des pucerons dansant, un loir endormi, animaux pouvant être considérés comme nuisibles et peu représentés dans les livres pour enfants. En cela, le travail de Marie Mirgaine s’avère politique dans une idée de représentation, tant de cette nature, de ces animaux que des corps non lissés. En bousculant les attentes d’illustration, elle déstabilise autant qu’elle ouvre des perspectives et des possibles à ses jeunes lecteur.ices.
Pour cela, l’autrice utilise une technique d’illustration bien particulière faite de collages de papiers qu’elle a auparavant peints à la gouache ou à l’aquarelle avec différents outils apportant de nombreux effets de matières et de textures dans des teintes subtiles et naturelles rehaussées d’un pantone orange. La délicatesse de ces couleurs parfois diffuses jusqu’à créer certains motifs est contrebalancée par la netteté des découpages distinguant par là les formes sans contours. À ces intéressantes superpositions laissant apparaître les grains des différents papiers et donnant beaucoup de relief et de profondeur à ses compositions, elle ajoute parfois quelques détails aux crayons de couleurs, et notamment des visages humanisant jusqu’aux fleurs et champignons. L’on s’aventure alors avec elle vers l’étrange et le merveilleux avec beaucoup de douceur et de poésie.
Bonjour Bébé, Marie Mirgaine, éd. Les Fourmis rouges, 15,50 euros.
Pour retrouver l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 69 min environ).
Pour plus d’informations sur Marie Mirgaine et sur les éditions Les Fourmis rouges.